Isotopie
Textes de Calixte Hulaux.
Nous voulions à travers ce projet se faire rencontrer les mots et les images, créer une oeuvre collaborative en associant une photo et un texte par semaine sur un temps donné.
Les mots sont ainsi venus se confronter aux images, au sens, aux histoires existantes pour les faire raisonner, les développer, les réinterpréter.
Pendant un petit interlude de quelques semaines, ce sont les photos qui ont répondu aux textes, créant ainsi un changement de rythme et de sens, comme une respiration, une invitation à regarder autrement.
Prologue :
Les rêves ne se trouvent pas en pleine nuit,
Mais en fin de journée, dans des crânes étourdis,
En attente, comme celui qui les porte avec lui,
Du prochain arrêt pour une autre vie.
Première partie :
Qu’importe les années ou les minutes qui s’écoulent,
Qu’importe le temps que cela prendra,
Qu’importe le pays ou la rue où l’on se retrouve,
Bordel, qu’importe tout ça,
Mais demain seize heures, ça te va ?
Au départ, et parce qu’on avait rien d’autre à foutre surtout, on avait volé la bagnole pour y faire un tour sur cette route qui mène aux rêves. On était juste des gamins dans des corps d’adultes, grisés par la vitesse, à nous motiver à coup de « accélère on y est presque ! » et de « jusqu’à ce que la route nous sépare ! », ce genre de conneries quoi.
Bien sûr que quelques-uns, lassés par cet horizon qui n’en finissait plus, se sont arrêtés sur le bas-côté pour regarder le soleil se coucher et ne sont jamais revenus, mais faut les comprendre, chasser les mirages ça fatigue et dormir à la belle étoile permet d’avoir une belle vue d’ensemble.
Mais le risque quand on s’arrête, c’est de se laisser bercer par le mouvement du monde et alors là, les étoiles disparaissent facilement sous les paupières. Ça nous, on voulait pas, alors on a continué à rouler à fond et en zigzag aussi, histoire de pas s’endormir.
Et maintenant ? Les rides sont là, les cheveux un peu moins, mais on y est toujours. Bah qu’est-ce que vous croyez, elle est longue cette route. Le bout est encore loin, mais on arrivera à l’heure, promis.
Ah, attendez, je vous rappelle dans une autre vie, c’est à mon tour de prendre le volant.
On est là à se réveiller, à ne plus savoir où se situe le nord du sud,
À ouvrir les yeux sur un jour nouveau si semblable aux autres.
À se laisser caresser par le souffle du vent, le regard toujours en avant,
Pitié, jamais par terre, jamais à terre, toujours tout droit.
Et en attendant la nuit, on vit, parce qu’il n’y a rien d’autre à faire,
Aujourd’hui se passe, demain tout recommence,
Et on se réveillera, à ne plus savoir où se situe l’est de l’ouest.
À toi femme dans la rue, les bureaux ou les bars,
À toi femme et à ton corps que tu dévoiles à la nuit et que tu caches au matin,
À toi femme et à tes envies de refaire le monde tard le soir,
Et à ton poing qui se lève rageur la journée qui suit,
À toi femme qui chantes, danses, écris et vis pour ta liberté,
À toi femme pour tes regards et tes absences, tes mots et ton silence et tes sourires en faïence,
À vous femmes du passé, oubliées des livres d’histoire, de philosophie ou de mathématique,
À vous femmes du présent, oubliées des discours politiques, sociaux et économiques,
Enfin, à toi femme qui m’as fait naître, celles qui m’ont fait grandir, et celles qui m’ont prêté leur amour et leur amitié.
Ne pensez pas tromper l’obscurité, elle y voit clair dans vos ténèbres.
Laissez vos sourires à la lumière,
À rayonner d’admiration,
Elle est aveugle de prétention.
Ne prenez pas sa discrétion pour de la pudeur
Elle se nourrit de vos fantasmes, elle se joue de vos peurs.
Ne prenez pas sa froideur pour de la cruauté,
Elle absout tous les affreux de l’humanité.
Si vous comptiez vous en séparer,
Abandonnez tout espoir,
Car vouloir la quitter,
Est un combat de tous les soirs.
La clé de la liberté ? J’en ai bien une mais...
Paraîtrait que c’est un vilain défaut. Qu’on risque des ennuis si on zieute à travers la serrure. Demande aux philosophes à travers les siècles, ils aiment la décrier. Faut dire que la boîte de Pandore les traumatise depuis la Grèce antique.
Mal aimée aussi par le religieux et le politique, curieusement. « Moutons, restez moutons, c’est pour votre bien, on pense pour vous », qu’ils ne cessent de nous braire à longueur d’année tout en plantant les piquets de notre conscience.
Alors que fait-on ? On attend docilement que l’on vienne nous ouvrir ? Mais pour y trouver quoi d’ailleurs ?
La liberté ?
Mais la liberté ne se trouve pas derrière, ma chère, elle se trouve dans l’action d’ouvrir soi-même la porte.
Et si finalement la liberté est de pouvoir franchir n’importe quelle porte, n’est-ce pas la curiosité qui nous permet de les ouvrir ?
La voilà ta clé.
Au milieu du grondement d’une armée au visage oublié, nous attendions, l’âme affutée, prêts à frapper, à défaire aujourd’hui pour s’emparer des lendemains.
De ce qui nous attendait, nous ne pouvions détourner les yeux. Depuis le début du jour, la guerre était bien là, comme en chacun de nous et chaque regard était un rappel de ce combat perpétuel.
Si la journée était toute debout, la nuit était encore loin. Nous nous mîmes alors à ramper, à avancer à tâtons et certains même à courir assurés de leur destination.
Soldats au front dans nos tranchées pavées, la tête haute, le sourire fier pour déguiser nos visages épuisés, nous avancions parmi les autres, parmi les nôtres, à la conquête du quotidien.
Toute droite et resplendissante à la lumière, ils l’aperçurent enfin, la grande Sainte de leurs Mères. Orphelins de guerres fratricides éternelles et délaissés de tout culte, ils levèrent des yeux pleins de défiance sur le Fils cloué au-dessus de l’entrée. À poil qu’il était et agonisant avec ça.
Le Père ? Ils le trouvèrent un peu partout, mais dans le symbole surtout, pas dans la présence. Il fallait voir là le premier modèle des pères qui allaient suivre. « Il attend », « Il observe » et entre temps ses fils se saignent entre eux.
À vos canons, à vos prières ! Qu’ils entendirent.
À nos canons, à vos prières ! Qu’ils répondirent.
Et Ils firent feu. Feu de ces paradis privatifs au milieu des enfers où seuls ceux qui ont reçu le bon ticket à la naissance peuvent respirer l’air divin.
Et au milieu des flammes il ne resta plus rien de symbolique, mais simplement des hommes et des femmes sans dogmes et sans convictions. Des êtres libres, bons et passionnels comme à leur naissance, enfin déshabillés de tous les serments et de tous les sermons.
Amen.
Non,
J’ai plus la force pour ça,
D’écrire ma peine,
De pleurer ma rage
D’avoir encore d’l’espoir de me barrer de là.
Non, enlève ton bras de moi,
Ne me chante pas la même rengaine,
Pour ça, j’ai plus vraiment l’âge
Et d’ailleurs pour me raconter quoi ?
Qu’on va réussir hein ?
Qu’on va leur montrer,
À tous ces enfoirés ?
Qu’on abattra tous les souverains !
Le regard de nos frères !
La violence de nos pères !
Et cette putain de société
Qui nous prend par le cou,
Et nous fout tous à terre !
Faut croire q’pour elle on est nés
Seulement pour être mis sous les verrous...
Non,
J’en ai marre de cette foutue guerre,
De me battre contre ces putains de symboles,
Tout un pays à refaire,
Mais en attendant c’est rien que nos morts
Sous leurs putains de balles
Et leurs putains de discours
Tu comprends, faudrait quand même
Se faire élire au prochain tour
Non,
Continue le combat sans moi mon frère
Et mon amour, montre leur ta force,
Sortez-vous de cette misère,
En bombant le torse
Non,
Ne faites pas cette tête,
Et gardez espoir,
Aujourd’hui c’est ma défaite,
Demain c’est votre victoire.
La nuit s’était levée et on s’était bien trop enfoncé pour pouvoir reculer. On marchait maintenant sur un chemin de terre, pas bien droit, plus certain du tout qu’il y avait une fin heureuse à tout ça. En regardant autour de nous, on s’aperçut qu’on était les derniers de l’humanité, plus rien qui respirait, même les étoiles s’étaient barrées.
On avait dû se planter d’itinéraire, on avait dû tourner au mauvais moment, on avait dû dire oui au lieu de non. Enfin, peu importait maintenant, il nous restait juste assez de souffle pour profiter de nos derniers instants.
Certains s’attendaient au repos d’un paradis fantasmé, d’autre à revoir la lumière sur un nouveau chemin d’espérance, mais dans l’ombre de nos vies, on se dirigeait bien vers le néant. Nos pertes et nos malheurs, nos joies et nos victoires, tout ça était encore en nous et derrière nous, comme une musique apaisante que l’on pouvait entendre dans le fond de nos pensées, rappel qu’avant la nuit, nous avions vécu les grands jours.
Ils disparurent l’un après l’autre, nos compagnons de cette marche funèbre, et bientôt nous aussi, on allait se fondre à la noirceur du décor, se fondre à la peur des Hommes ou bien leur délivrance.
Et bientôt nous aussi, on allait devenir de simples murmures de notre propre existence.
On avait enfin pu poser nos bardas. Bon, juste avant on s’était grimpé un building, histoire de profiter pleinement de notre retour et de montrer aux autres d’où l’on venait.
Le soleil, showman comme à son habitude, nous avait offert un bel accueil, partageant la scène avec l’automne pour embraser le paysage, un peu rancunier quand même qu’on soit parti voir d’autres horizons. Même la lune, bien plus réservée elle, s’était pointée timidement au-dessus des montagnes pour voir le résultat de nos errances.
Les fêtards revenaient de l’est, de passage chez nos voisins proches ou bien plus lointains, de la vodka encore plein les veines et une migraine pas possible.
Les rêveurs eux revenaient de l’ouest bien sûr, naturellement fatigués de leur recherche de l’American Dream au bout d’une route 66 beaucoup trop longue.
Les ambitieux de retour du sud avaient la peau cramée et les vêtements salés. Les yeux saturés de lumière, ils avaient vite compris que c’était dans l’obscurité qu’on voyait nettement mieux la route à prendre.
Il y en avait même un qui voulait voir le nord, alors qu’on y était déjà dans le nord. Mais il voulait s’enfoncer dans le nord du nord qu’il disait, pour « voir s’il n’y aurait quand même pas quelque chose à en tirer » qu’il disait encore ... Ouais, je sais, allez comprendre. Lui on a jamais bien su dans quelle catégorie le foutre. Certains le prétendaient génie mais faute de n’être jamais revenu de son voyage, on a bien été obligé de le penser fou.
Ici nous retrouvions nos racines, notre nid et notre repos. Puis on recommença à préparer les lendemains et les prochaines routes à prendre.
Puis, nos ailes reposées, on se dispersa à nouveau dans tous les sens, et, sans jamais perdre le nord, on s’imaginait déjà notre retour.
Rappelez-vous des « vandales » d’hier,
Hommes de couleur et femmes tout court,
Tous hors-la-loi pour espérer quelques droits,
Et je ne parle même pas de leur choix de partenaire,
Qui trente ans en arrière, leur valait encore le titre de pervers.
Si de nos jours, les lois d’hier sont absurdes,
Demain quelle importance donneront-ils,
Aux lois que l’on suit religieusement aujourd’hui.
Oui, n’oubliez pas que la première justice est religieuse,
Et que l’on vit donc selon des lois bien poussiéreuses,
Si vous voulez un peu de justice, point de prières,
N’attendez rien de ces murs en pierre,
C’est dans la lutte et ses rues pavées,
Grâce aux vandales d’aujourd’hui et leur sacrifice,
Que tombera le bandeau d’une aveugle justice.
Regarde à gauche, regarde à droite, parce que la route est longue et détraquée.
L’avenir appartient à ceux qui ont encore la force de se lever,
Parce qu’à force de louper le destin,
Toi t’as perdu l’espoir de chopper le prochain train.
Allez, lève-toi, t’as du boulot à terminer, des gens à aimer, ton sport à faire pour tes kilos à perdre et n’oublie pas de sourire aux opportunités.
Rentre pas trop tard, fais-toi à manger, d’ailleurs les courses, t’y as pensé ? Et à chercher le gamin ? Et à payer le loyer ? He l’écrivain, tu l’as fini ton bouquin ? T’as dit bonjour aux voisins ? T’as appelé le frangin ? Tu t’es occupé du chien ? T’as aimé ton prochain ?! Et ce monde en déclin, t’y as pensé HEIN ?! Faudrait s’en occuper, et pas demain.
Regarde à gauche, regarde à droite, regarde tout droit.
Parait que les sprinteurs terminent leur course en apnée. Pour la vitesse y’a pas de secret.
Et toi t’attends encore à ton arrêt et tu demandes pourquoi,
Tout autour de toi, le reste du monde est essoufflé.
« Regarde tout droit, petit, par terre il n’y a que tes erreurs. »
À l’époque j’avais pas bien compris ce qu’il voulait dire. J’étais juste un gamin qui n’y connaissait rien.
Le patenôtrier qu’on l’appelait, à toujours se balader les mains derrière le dos, à triturer frénétiquement son chapelet. Il s’en séparait jamais. Paraît même qu’il en avait tué dix du quartier d’à côté, juste avec son chapelet ! Il y en avait des histoires à raconter sur le patenôtrier mais papa ne voulait jamais que je les entende, il disait que c’était pas de mon âge.
Il m’avait dit cette phrase-là alors que j’étais puni dans la cave - j’avais piqué le flingue de papa – et le patenôtrier il était venu me voir, puis il m’avait laissé jouer avec le sien de flingue. Il était gentil le patenôtrier. Enfin pour les autres il était méchant, chaque fois qu’il sortait dans la rue, les autres ils rentraient chez eux. Comme des rats qu’ils étaient, ils avaient tous peur du gros chat noir.
Le patenôtrier il était ami avec papa, « Duetto Nero », le petit duo noir, que c’était leur surnom. C’était bien classe si vous voulez mon avis. C’est vrai qu’ils étaient pas bien grands, mais ils avaient pas besoin de ça, parce que les histoires qu’on racontait sur eux, ça les rendait plus grands que tout le monde. Un jour ils se sont disputés. Pour une affaire d’argent, quelques millions je crois bien, enfin, presque rien quoi. Papa, quand on l’a retrouvé mort, il avait une marque tout autour du cou, et je crois bien que c’était à cause du chapelet du patenôtrier.
C’est quand je lui ai tiré dessus et qu’il est tombé par terre, que la photo est sortie de sa poche. Je crois bien qu’il comptait me l’offrir. Parce que c’était une photo de nous trois, et que derrière il y avait écrit cette phrase :
« Regarde tout droit, petit, par terre il n’y a que tes erreurs. »
Silence...
On entend le murmure d’une rage qu’ils veulent contenue...
Née de leurs promesses non tenues...
Et de leurs mensonges mis à nus...
Fredonne,
Les chants et les hymnes des luttes passées,
La tête haute, le poing levé sur les pavés,
En marche pour détruire leurs grands palais.
Dénonce,
Car dans cette odeur de peur, cette ambiance de terreur,
Ils se la jouent candeur et défenseurs de la première heure,
Mais point d’erreur, ce ne sont que des voleurs et des imposteurs.
Hurle !
Parce qu’ils sont sourds et n’entendent que la colère !
Parce qu’ils te pensent solitaire dans cet état précaire,
Mais tes frères qui ont souffert te sont solidaires,
Et dans cette guerre financière meurtrière, vous ne pouvez simplement plus vous taire !
On était presque arrivé à notre nouvelle destination. On la voyait pas trop loin de nous, à portée des yeux, mais entre elle et nous, il y avait une marée humaine à traverser, prête à nous avaler, nous et nos idées.
Nous on s’en foutait d’eux, on voulait tout simplement pas se faire attraper nos idées de liberté par cette masse avide de nous dire où regarder et comment voir les choses. Et oui, on en était arrivé à un point où la direction du regard pouvait offenser si on regardait pas le même horizon que les autres.
Tant pis pour l’affront. On s’est alors armé d’nos masques et d’nos rêves et on a commencé à nager au milieu de leurs regards vagues qui s’échouaient tous sur cette plage grise et sans espoir qu’ils appellent la véritable réalité.
Nous on la cherchait pas la vérité, on la fuyait. Puis au fond, leur parfaite réalité ? Pas plus vraie qu’un conte de fées emprisonné sur du papier. Nous au contraire, on allait trouver l’imparfait et sa possibilité de rêver, d’échouer et de rejouer, et cette liberté d'écrire nos pages comme on le voulait, c’était tout ce qui nous importait.
Dans ce monde qui brûlait, on n’avait jamais eu la prétention de nous penser pompier, on était juste de simples feuilles à la recherche d’un coup de vent pour nous envoler loin du brasier.
Et ils creusent en silence, la terreur dans leurs yeux ternes, la terre sous les ongles dans leurs tentatives de se terrer dans leurs terriers. À tant essayer de ne pas se faire tuer, ils n’ont pas réalisé qu’ils ont creusé leur propre tombe.
Atterré, tu es témoin de ce théâtre où s’enterre ton entourage terrassé. Toi tu n’en peux plus de leurs enterrements altérés alors tu transperces la terre et le restant des tiens pour t’en sortir et dans ton élan tu te retrouves transporté dans les hauteurs et tu vois les territoires d’une terre neuve.
Attiré, tu te laisses atterrir sur ces nouveaux terrains, loin de tous ces terreux et de leur héritage que tu as laissé derrière toi. Tu te sens déraciné de tes terres d’il fut un temps, mais enraciné tout de même à tout ce que tu as tenté d’enfouir en toi.
Et sur ces terres qui s'étendent tout autour de toi, tu creuses en silence le terreau de ta nouvelle existence.
1er Janvier dans la brume, celle du matin, celle d’ton esprit,
Faut dire que là, t’es ankylosé par une overdose d’années,
À t’être bourré de résolutions malmenées.
Mais bon, l’heure n’est pas à l’amertume, mais aux espoirs, à la rêverie,
Ensuite, pour ta réussite y’a pas de secret, Shia LaBeouf te l’a déjà dit,
« Simplement fais-le », oui, on est d’accord, ça n’a pas le même effet quand c’est traduit.
Alors si tu sais déjà quelle route prendre, t’as plus besoin d’mon GPS détraqué,
Me reste plus que d’utiliser une dernière fois cette rime du pauvre, une ultime rime en é
Et simplement te souhaiter une putain de bonne année
Ok, écoute-moi, j’ai un plan.
On partira ce soir. On attendra que le soleil se couche pour se mêler aux étoiles. Avec son regard sombre, il ne pourra plus nous voir. On ne lui laissera que nos ombres, de toute manière il n’a jamais pu faire la différence.
L’obscurité nous protégera. Et quand le soleil se lèvera demain, on n’aura plus besoin de se cacher. Fini de tourner les clés dans les verrous, fini le dessous du lit, l’attente qu’il se décolère, le dernier verre, le dernier coup, fini les désolés et les j’ai changé. Fini tout ça.
Je ne veux pas que l’on finisse dans les faits divers. Pas être « une de plus » à rajouter aux calculs morbides, avec un enfant dans l’équation. Alors à partir de maintenant, on va traverser la vie à pleine vitesse avec nos ailes retrouvées, parce que je n’en peux plus d’être jetée au sol, moi et ma liberté brisée.
Regarde-moi, non ne t’occupe pas du sang, regarde mes yeux, tu le vois mon amour pour toi dans mes yeux ? Oui ? Alors c’est tout ce qui importe. C’est avec ça qu’on mettra de la distance avec lui, qu’on ira voir ce que le monde a à nous offrir, qu’on ira au-dessus des gratte-ciels, et par-delà les mers, tout au bout du monde. Là-bas, loin de sa haine, il ne restera plus que mon amour pour toi.
Ce soir, on va s’envoler juste toi et moi.
Ma lumière est sur toi, ma vie pour ton histoire.
Si les gens sont flous, toi t’es bien nette dans mon regard,
Si le monde est fou, toi tu te tiens droite au milieu de ces êtres hagards.
Tu vas pousser à travers cette jungle, te faire une place au soleil,
Gratter la Terre de tes ongles, en découvrir des merveilles.
Puis viendra ton temps à toi, de planter ta graine incertaine,
Nouvelle pousse sous ta lueur, tu ne verras plus qu’elle,
Et continuant ce cycle, tu connaîtras mon histoire.
Nos vêtements puaient encore le gaz de la veille. Impossible d’y échapper, tout l’air avait été infecté par leur bon soin. La ville en était figée, comme si le temps lui-même était devenu spectateur du dénouement de notre guerre fratricide. Car si nos ennemis d’autrefois habitaient par-delà nos frontières, aujourd’hui nous devions combattre nos propres frères et nos propres pères, nés dans ce pays qu’ils avaient fini par corrompre par leur soif de pouvoir et leurs ambitions vénales.
Ils étaient postés à chaque coin de rue, à nous assiéger depuis des jours, peut-être même des semaines. À coup de cocktails, pavés, arcs, frondes et parapluies nous avions réussi à les repousser, vague après vague, ces chiens à la solde du pouvoir.
Mais aujourd’hui leurs maîtres leur avaient gueulé de nouveaux ordres. Ce soir ils allaient pouvoir utiliser leur létalité en profitant de leur permis de nous tuer en toute impunité. Nous, nous n’avions que nos rêves de liberté et nos barricades de pavés entassés, alors certains commencèrent à écrire leur testament sur des morceaux de papier pas assez grands, pendant que d’autres appelèrent une dernière fois leurs parents, pour écouler quelques larmes avec eux avant que le brouillard de gaz n’emporte toute l’eau de leurs yeux. La plupart avaient la tête baissée, croyant ou non, nous n’avions plus que nos prières et nos slogans pour espérer revoir un lendemain.
« Do you hear the people sing?
Singing the song of angry men? »
Quelques-uns entonnèrent un chant à travers leur masque pour inspirer le courage dans le cœur de nos frères et sœurs, mais au milieu de leurs paroles nous entendîmes les premiers cris au loin, nos premières victimes juste avant la nuit. Les soignants se ruèrent en avant pour essayer d’en sauver le plus possible, pendant que nos troupes au front, membres en sang et vêtements déchirés, commencèrent à se retrancher derrière nos collines improvisées de pierres et de métaux.
« It is the music of the people
Who will not be slaves again! »
Ces paroles nous pouvions les entendre émaner des quatre coins du monde. Algérie, Egypte, Chili, Irak, Iran, Liban, Soudan ... Le chant d’une population unie qui désire se réveiller d’une nuit qui a bien trop duré. En attendant, nos Despotes, Eux, aveugles, essayent de nous éborgner, de nous trancher les membres pour ne plus voir nos poings levés. Eux, muets sur leurs pratiques infâmes essayent de nous faire taire et d’étouffer nos besoins d’un renouveau. Eux, sourds, condamnent sans merci notre violence mais légitiment gracieusement les meurtres de leurs assassins en uniforme. « Vous l’avez bien cherché, si vous vous seriez tus, nous n’aurions pas eu besoin de vous tuer » ... Catalogne, Guinée, Equateur, Bolivie, Venezuela, Haïti, Libye, France, Hong-Kong...
Sept milliards de personnes sur un navire qui prend l’eau, mais tant qu’Ils auront la main sur le gouvernail, Ils préféreront voir ce navire sombrer au fond des eaux, et toute l’humanité avec, plutôt que de lâcher la seule chose qui les définit selon Eux : L’autorité suprême de nous ordonner de ramer vers ce qu’Ils jugent être la bonne direction.
L’odeur de gaz se fit plus forte et la nuit s’embrasa alors pour de bon.
Le sol trembla tandis qu’ils se mirent à charger en piétinant nos banderoles.
L’air vibra tandis que nous nous miment à chanter ensemble nos dernières paroles.
« Beyond the barricade
Is there a world you long to see? »
- Ha bah, r’vlà Gégé d’la CGT.
- Tiens, on parie qu’il va encore nous parler politique ce coup-ci ?
- Bah y’a des chances, il revient de manif là, il porte encore l’uniforme.
- Rah, mais merde à la politique à la fin. Tiens, l’autre jour, sur Facebook, entre deux vidéos de chats, je vois un post qui m’explique que je devrais me battre pour ma retraite et blablabla. Et bah crois-le ou non mais c’est un petit jeune de vingt ans qui a écrit le post. Moi je les comprends plus les jeunes. Ils gueulent comme quoi on va tous mourir dans trente ans à cause du réchauffement climatique, mais manifestent quand même pour leur retraite.
- Ouais enfin Gégé il a plus vraiment vingt ans hein.
- Ohhhh mais je l’entends d’ici. SO LI DA RI TÉ, qu’il va nous répondre. Et leur solidarité pour moi hein, quand je peux plus prendre mon train ? Ça me fait suer leurs histoires. Littéralement. J’ai dû ressortir le vélo.
- Mon pauvre vieux va, va pas te tuer pour ton boulot non plus. Faudrait quand même pas que tu nous lâches à sept ans de la retraite.
- Bah t’inquiètes pas, j’attends un appel du chef là, parait qu’il veut que je me repose, moi je te dis, ça sent la promotion à un poste plus tranquille. Eh, quand on parle du loup. Attends bouge pas.
...
Oui allô ?... Comment ça, plus les moyens ? ... Bientôt la retraite ? Ouais enfin dans sept ans quoi. Je fais quoi en attendant ? ... Que je traverse la rue ?... Vous vous foutez de moi ? ... Ouais, ok, merci quand même.
...
- Hey... Je viens de me faire virer. « Impératif économique » qu’il parait.
- Ouais j’ai entendu... désolé mon vieux. Ça va aller ?
- Gégé est déjà reparti ? C’est lui là-bas ?
EH GÉGÉ ? ELLE EST QUAND LA PROCHAINE MANIF ?
Et tu attends, et tu attends, et tu attends. Qu’elle te rappelle, que ça aille mieux, peut-être le soleil. T’attends un signe, un sens, la ligne à suivre, tu regardes le ciel, mais tu n’y vois que l’orage et tes croyances.
T’attends et ça te tend, cet immobilisme dans ce temps qui file, ce vide en toi dans cet espace que tu devrais remplir.
T’attends la nuit pour ne plus y penser, parce que toute cette attente te hante, et il n’y a bien que ton sommeil pour t’en délivrer.
Puis un matin tu n’en peux plus, t’en as marre, bordel, t’en as marre d’attendre que le monde vienne à toi, alors tu te lèves, tu frappes, tu cours, tu danses, tu chantes, tu rugis, tu vis, bordel, TU VIS !
Tu vois enfin la voie, tu vis tes envies, tu réalises tous tes vœux et tu veux que tous réalisent que t’es allé au bout de tes attentes, que t’as percé, que tu nous illumines de ton succès de là où t’es, que désormais, c’est bien aux autres de t’attendre pour t’atteindre.
Et après ? Quand tu n’as plus de case à cocher, de prix Nobel à gagner, d’enfant à caser pour continuer la lignée, quand tu n’as plus rien d’autre que quelques êtres aimés qui d’ailleurs n’attendent plus grand-chose de toi, parce que la mort est à deux pas,
Qu’est-ce qu’il te reste à faire ?
Tu vois là ? Le point lumineux juste au-dessus du clocher ? C’est Vénus qui brille déjà avant la nuit.
Pour être honnête toi les étoiles tu t’en fous, tu viens de poster une photo de toi et t’espères bien décrocher la lune, à coup de j’aime, à coup de partage. Ce soir c’est toi qui vas briller sur les réseaux.
Regardez-moi, regardez-moi, regardez-moi, le temps file pendant que la vie des autres défile devant tes yeux. Depuis le temps, tu ne les connais plus trop bien, mais tu leur laisses quand même un commentaire ou deux, tu leur donnes ton avis de peur de ne plus faire partie de leur vie.
Ersatz de relation pour une génération en manque d’attention.
Au fond tu le sais bien, qu’en dehors de ta photo de profil, on s’en fout bien de ta gueule, mais tu souris quand même, ça fera des likes, des swipes, des pouces, des cœurs. Tu t’en gaves pendant des heures pendant qu’les autres jalousent et s’en écœurent.
Et parce que tu n’as pas envie de redescendre dans l’algorithme, parce que selon toi, se faire oublier c’est déjà un peu mourir, tu fais ce qu’il faut. Tu fais le buzz, mais tu le fais bien : Tu le fais bad.
Voilà, à coup de notifications, ta e-réputation est en pleine ascension, et ils scrollent, et ils scrollent et ils scrollent sur ta fausse vie dans la lumière pâle de leurs écrans, pendant que la tienne de vie, la vraie, elle défile aussi et qu’les premières étoiles s’éteignent déjà au bout de la nuit.
« Il est souvent dans la Lune ».
Notez que l’on ne dit pas « SUR » la Lune, mais bien « DANS » la Lune.
Mais point de faute ici, car s’il est donné à n’importe qui d’observer les cratères qui creusent le visage de la Grande Pâle, il faut bien vous y faire, une seule espèce est capable d’imaginer ce qu’il y a sous la surface.
Les rêveurs, les poètes, les insouciants, les absents ou les chavirés du ciboulot, appelez-les comme vous voulez, pas d’importance, de toute manière ils sont bien trop distraits pour vous écouter.
« Ils ne servent à rien si ce n’est qu’à fantasmer », pensez-vous peut-être. Il est vrai qu’ils ne sont pas connus pour être des bavards plébiscités, des remueurs de foules ou des travailleurs acharnés, mais ce sont bien leurs histoires que vous lisez et qui vous libèrent à dose d’espoir d’une vie cynique et bien austère, car à l’heure où vous dormez, eux se lèvent pour façonner de nouveaux mondes et repousser les frontières de l’imaginaire.
J’ai envie d’vous parler d’amour, parce que moi l’amour je m’en fiche, j’l’ai pas pudique, j’l’affiche en public. J’sais bien qu’on en a déjà écrit des romans entiers, qu’on en parle toute la journée. L’amour, l’amour ça ne s’explique pas, l’amour rend aveugle, l’amour toujours, l’amour pour tout, pour votre café le matin, pour votre chien puis peut-être bien votre copain.
Mais même avec toutes ces histoires moi j’le comprends pas votre amour, moi j’connais que le mien. Je l’ai seulement connu grâce à leurs sourires à toutes, puis leurs caresses aussi, tout ça rien que pour moi, puis pour celui d’avant et le prochain sûrement.
J’en ai fait des constellations de leurs grains de beauté, à troquer chaque fois un peu d’mon cœur pour leur corps en entier, même si à chaque fin j’me suis brisé face à l’indifférence de leurs regards gelés.
Faut dire que l’amour ça va ça vient, l’amour dure trois ans, l’amour chimique, l’amour toxique.
Mais même en sachant ça, j’le comprends quand même pas votre amour, alors je suis venu vous demander de me le partager encore une fois, parce que j’ai encore des cartes du ciel à remplir et puis des romans à écrire.
Interlude:
Je te vois, je te vois comme je m’observe tous les matins dans le miroir. Je vois souvent ta haine pour moi dans ton regard, parfois de la tristesse pour mon corps abattu, au mieux une nostalgie de notre jeunesse révolue.
Tu n’en peux plus de moi, je le vois bien, tu n’en peux plus de nos regards l’un sur l’autre, sans maquillage et sans mensonge, de ce jugement permanent de que tu es, de ce que je suis. Détourne les yeux si tu veux, mais je serai toujours là, à quelques mètres de toi, à attendre ton dégoût, ton sourire mauvais, ton poing qui tente de me briser.
Fais-toi une raison, tu ne pourras jamais te débarrasser de moi. Si j’ai besoin de ta lumière, je ne serai jamais dans ton ombre. Impossibilité physique. Ta seule solution alors est de m’accepter en acceptant qui tu es, car au final je ne suis rien d’autre que ton reflet.
« Merci pour ce week-end... »
T’aimerais élaborer, lui dire que t’aimerais la revoir, mais tu lui dis simplement ces quelques mots puis tu repars sans t’émouvoir. La suite ? Tu ne veux pas y penser, au fond le futur n’est qu’une répétition du passé, et ce dernier tu ne l’as pas encore assez pansé. Tu connais les nuits écourtées, les messages sans réponse, l’amour sans réciprocité. Tu connais bien tout ça, alors tu poses une main sur ta poitrine pour calmer ton arythmie puis t’abandonnes l’espoir à son agonie.
« Bon, voilà, c’était juste pour te dire que j’aurais aimé avoir de tes nouvelles. Réponds-moi quand tu auras le temps. »
Soudé avant, soûlé maintenant, t’as délaissé tes amitiés. Tu mets la faute sur la distance, le temps, la vie, des choses abstraites, ça t’évite de culpabiliser et de remettre en question tes failles concrètes. Procrastinateur du sentiment, aujourd’hui t’as pas le temps de leur dire que tu les aimes, mais demain peut-être tu prendras rendez-vous avec ta tête pour enfin sortir ton cœur de sa retraite.
« Donc je suis juste bonne à baiser puis ciao, c’est ça ? »
C’est ça chérie, moi j’disparais comme les autres l’ont fait avec moi. J’connais l’deal, le début du couplet mais surtout la fin de l’idylle donc si t’es mon type, j’te swipe, mais si t’espères faire de moi ton ex, j’te next. C’est simple, j’te baise pour éviter de me faire baiser, cherche pas l’compliqué, tu pourras jamais me la faire à l’envers, de toute manière j’ai pas l’cœur à l’endroit.
Génération ghostée, hanté par nos amours imprécis, on s'éloigne pour éviter nos sentiments indécis. Délaissé, l’ego blessé, embargo sur notre passé, on se rencontre sans se voir, sans se rendre compte qu’on a tous la même histoire.
« Cet utilisateur vous a bloqué, vous ne pouvez plus correspondre avec lui. »
15 ans hier soir.
Tu t’en rappelles parce qu’elle était à tes côtés. Avec elle, rien de compliqué, juste un coucher de soleil à admirer puis le reste de la nuit pour espérer. Il y avait une douce insouciance dans l’air, un moment juste là, un présent juste pour toi, parce que les lendemains n’existaient pas.
22 ans au milieu de la nuit.
Ivre, sans idée de l’heure, ni du lieu, tu marches de traviole dans ta vie, tu te dis que c’est suffisant pour survivre, en attendant d’voir où tout cela va finir. Tu te laisses porter en t’agrippant aux autres, mais ils ne savent pas plus que toi où aller. Alors sans vous soucier de la destination vous avancez avec de la folie dans vos cœurs, vous dansez sans jamais compter les heures.
30 ans ce matin.
La nuit a été longue et tu te réveilles avec une gueule de bois. Peut-être un surplus d'impudence, une overdose d'heures perdues. Ta jeunesse à l’agonie, tu comprends maintenant que le temps défile sans ta présence, tu vois nettement mieux les fils de ton existence.
À la lumière tu vois aussi des amitiés qu’les années n’ont pas emportées, des leçons d’tes relations passées et des projets ensevelis sous la poussière du quotidien, d’la routine, des lendemains sous morphine.
Alors tu te lèves et tu souffles sur la poussière pour mettre tes expériences dans la valise de ta conscience puis tu prends la direction d’un chemin éclairé par de nouvelles évidences.
Au matin de ta vie il est 8h, la journée commence.
Dans leur no woman’s land, ta présence les dérange
Ils réalisent bien que tu ne te comportes plus comme ça les arrange.
Ils légitimiseront leur violence pour un bout de tissu,
Pour quelques centimètres de peau apparente,
Tout ça pour protéger leur ego déchu,
Eux ne sont jamais le problème apparemment.
Ils s’accaparent la rue, s’approprient la nuit,
Monopolisent l’espace public,
Mais toi tu n'en peux plus du diktat d'la femme pudique,
Et t’aimerais bien goûter la vie après minuit.
Alors reprends la rue, elle est à toi,
Ton envie de liberté guidera tes pas.
Reprends la nuit, elle est pour toi,
Dans l’ombre, Vénus t’attend déjà.
Deuxième partie :
« C’est une fille ! »
Tu n’as même pas eu le temps de prendre ta première respiration que c’était déjà foutu.
Ils attendaient tous ta venue pour choisir la couleur de ta chambre, de tes draps, de tes jouets, de ton existence. Puis au moins maintenant ta mère pourra se faire aider, parce que tu comprends, tu as déjà trois grands frères qui courent partout dans la maison. Toi au moins tu seras calme et faute de pouvoir déjà t’exprimer, ils agenceront ta nouvelle vie sans ton consentement.
Plus grande, tu essayeras bien de leur faire comprendre. Que de s’entrainer à manier l’épée pour chasser des dragons plutôt que de ranger la vaisselle de ta dinette ne fait pas de toi un garçon manqué, mais simplement une fille réussie. Mais ils te trouveront bizarre, asociale, pas comme les autres petites filles, on t’emmènera même chez des spécialistes pour corriger ce qui cloche chez toi.
Ado, tu seras rebelle, bien sûr. Ils ne t’ont pas laissé le choix. Tu traineras avec ta bande de mecs et tu essayeras de te cacher sous des pulls XXL de ces regards qui te dérangent. T’emmerderas le système, ses attentes et ses injonctions. Habillée tout en noir, t’emmerderas leur couleur démodée.
Plus tard, tu deviendras belle. C’est bien. C’est l’essentiel apparemment. Tant pis pour tes études, tant pis pour tes titres et tes victoires. On t’invitera pour ce que tu représentes, jamais pour toi. Même pourvus de bonne volonté et même dans ton camp, ils et elles s’obstineront à te faire rentrer dans une couleur que tu n’as jamais aimé. Toi tu seras simplement fatiguée, de devoir toujours tout leur expliquer.
Alors enfin les rides viendront, malgré toutes les crèmes qu’on essayera de te vendre, parce que oui, si les jeunes femmes sont des femmes, les vieilles femmes sont des vieilles. C’est comme ça. On t’enlèvera ta féminité, parce qu’il sera trop tard. Et là plus de couvertures de magazines, plus de films, plus de musiques, plus de couleurs, plus rien. On te dira que tu as fait ton job, on te remerciera, puis on te laissera seule dans ta grisaille.
Voilà, tu viens de naître que déjà tous les regards sont tournés vers toi.
« Bienvenue dans la réalité ma belle. » Qu’ils te disent, extatiques devant ta beauté figée pendant que toi tu lèves déjà péniblement ton minuscule majeur contre ce monde et sa fatalité.
HEY ! Oh pardon, je t’ai surpris ? Quoi ? Tu pensais réellement pouvoir me fuir ? Mettre de la distance pour ne plus souffrir ?
Vraiment ? Arrête de me faire rire.
Ah, je te vois venir, tu pensais que le déguisement allait suffire. Mais t’as beau te cacher derrière un sourire, ça n’effacera jamais tes plus mauvais souvenirs.
Arrête de courir va, je suis déjà en toi, j’ai eu le temps de tisser le fil de tes pensées pour te rendre captif de ma réalité.
Fatigué de moi ? Essaie de dormir tiens, mais je te préviens, même les yeux fermés je serai toujours ton pire cauchemar.
Oh, tu peux me supplier, malheureusement pour toi comme émotion je suis tenace et toi tu n’es plus qu’un esclave de mes menaces.
Attends, arrête de pleurnicher. Tu les sens derrière toi à t’épier dans l’obscurité ? On t’observe, on te juge, on se moque de toi. Viens, laisse-moi tes insécurités que je puisse t’accorder mon entière sécurité.
Voilà, enfin seul toi et moi. Enfin seul...
Dépassés par le présent, le pas pressant pour chasser un passé lésant,
Un peu lassés aussi de ne plus être totalement présents,
Nous sommes devenus des errants délaissés.
Dans la rue, quelques êtres au teint crayeux,
Des ambitieux à la recherche d’une ère disparue,
Tous désireux d’une vie moins congrue.
Nous voilà donc comme une armée sans ordres,
Stationnée dans une ville fantôme, en attendant l’exode,
Vil symptôme d’une réalité dans le désordre.
Un peu las, mais toujours là, le regard vissé sur le chemin, pas le temps de fantasmer, le bout de tes rêves n’est pas si loin.
T'as mis de la distance avec la distraction, direction le silence loin des bruits de fond.
Pour en arriver là, t’as usé ta semelle sur d’la moquette, du pavé, du bitume ou du gazon, t’as fait les cent pas sur cette planète comme un captif dans sa prison.
Puis à force de tourner en rond, t’as compris que le chemin n’avait en fait ni queue ni tête, qu’l’important était peut-être simplement de sortir de ta retraite et sur tes pas, de garder toute ton attention.
Tu es apparue hors de la brume après toutes ces années, doucement, à pas feutrés sur les feuilles mouillées.
Puis on a souri à l’idée de se balader juste toi et moi, sans le soleil pour nous accompagner mais avec tes doigts gelés entre les miens et mon cœur réchauffé à t’imaginer dans mes lendemains.
On a dû en avaler de la route pour se retrouver sur le même sentier, pour enfin ensemble faire un bout de chemin, voire en entier.
Car oui qu’importe la direction et le temps que ça prendra, j’aimerais continuer avec toi, de parcourir les saisons.
Ouais ouais je la vois bien, ta lumière au bout du tunnel, mais moi j’y suis bien, dans mon obscurité éternelle…
Ici pas de pudeur, je peux traîner ma laideur sans me soucier des projecteurs. Puis dans l’ombre, j’fais pas d’erreurs, puisqu’il n’y a jamais de spectateurs. Avec moi il n’y a qu’mes démons et avec eux j’passe mes heures à dompter toutes mes terreurs. Donc vas-y dans ta lueur, mais moi j’reste là,
Le noir ne m’fait pas peur.
Ouais okay, rejoins-moi quand t’auras fait le tour de ton ego, moi j’y go et j’regarderai pas dans le rétro pour quelqu’un qui passe son temps à écouter son propre écho.
Là-bas il y a de l’espoir. Un nouveau départ et peut-être un peu de gloire. Oui, il faudra affronter les regards, écrire notre histoire dans le brouillard mais c’est mieux que de rester dans le noir, là-bas au moins il y a un phare pour guider notre trajectoire. Alors vas-y marre toi, mais vivre comme un cafard moi j’en ai marre, donc ciao, moi j’me barre,
Au soleil j’vais chercher mes victoires.
Je ferme boutique ouais. J’ai plus rien à afficher en vitrine, j’ai plus rien d’autre que quelques mots pas bien neufs pour un dernier coup de bluff.
« Ça va aller, ça va aller ». Voilà, moi j’ai plus qu’ça à vous dire, j’ai rien d’autre à vous offrir, j’ai même plus de quoi vous faire sourire. C’est pas mes rimes qui vont changer le monde, c’est pas mes jolies phrases qui vont sublimer l’immonde.
Oui j’sais bien qu’ça vous fait plus rien. « Ça va aller, ça va aller ». Vous l’avez goûté à toutes les sauces, même ça je ne peux plus vous le faire avaler. Ça va aller mais sans jamais savoir où et quand, alors en attendant vous gueulez votre âme dans le vide, juste pour écouter l’écho d’votre existence. Avec un peu de chance vous trouverez quelqu’un pour vous répondre...
Quoi ? Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise d’autre hein ? Qu’tout va bien, le soleil brille, les oiseaux cuicuissent? J’suis désolé, j’vais pas descendre la bouteille pour déconner avec la chimie d’mon cerveau, j’vais pas jouer au chef d’orchestre à essayer de tenir tout seul l’alchimie d’notre concerto.
Donc tenez, j’vous donne les clés d’la boutique puis mes derniers pipeaux. Et si comme moi vous n’avez plus assez de souffle pour en jouer, trinquez un coup et dites-leur simplement que ça va aller, que demain peut-être, les oiseaux cuicuisseront et qu’il fera beau.
Comment l’expliquer ?
J’pourrais bien vous dire que j’ai envie de figer son sourire comme pour fixer le soleil dans le ciel bleu-gris d’ma vie. J’pourrais vous dire que l’unique chose qui me dérange dans son regard, c’est d’me voir dans le noir de ses pupilles. J’pourrais même théoriser sur le paradoxe du temps, qui avec elle, s’immortalise mais file trop vite.
Ou alors j’pourrais aussi vous parler des moments durs, peut-être qu’au final, on les connaît tous, ces moments-là. Ces moments de fragile solitude où l’on se dit que Lamartine et autres compères n’ont pas eu tort en troquant leurs cœurs contre un peu d’encre et une plume. Ou ces moments où l’on se prend les pieds dans nos failles et qu’on réalise que prendre la main de l’autre, c’est aussi prendre le risque de le faire tomber avec nous.
Mais au final, je ne pense pas que ça explique quoique ce soit. Bien sûr que j’pourrais encore vous parler d’moi pour vous parler d’vous et que j’pourrais toujours vous parler d’mon amour pour vous parler d’elle mais j’n’ai même pas fini d’compter tous ses grains de beauté et les jours restants avant la saison rousse pour admirer ses taches d’été…
Alors oui j’sais bien que ça n’vous suffit pas, qu’malgré les chansons, les cartes du ciel et les romans, vous n’y comprenez toujours rien tout comme moi. Mais pour l’instant je n’ai rien de plus à vous dire, allez savoir, peut-être que j'me découvre pudique et qu’mon amour, je n’ai plus envie d’vous l’partager.
Fin.