Grandir.
Avec les textes de Calixte Hulaux.
Une histoire qui se construit, les mots répondant aux photos, les photos faisant écho aux mots.
Et inversement.
CHAPITRE I
A tâtons dans l’inconnu, on essayait d’y voir plus clair ensemble, d’anticiper l’inattendu, d’éviter les pièges tendus
Les routes se séparaient, se rejoignaient, on en perdait certains
On en retrouvait d’autres, au hasard du destin, on essayait de ne plus se perdre de vue
On n’était pas certain de la direction à prendre. Mais qu’importe, on savait qu’on allait tous se retrouver au bout du chemin.
J’sais pas
Gothique ou intello, cheveux longs cheveux courts, alcoolique ou à l'eau, bon garçon ou gros lourd
Voilà les premiers tics, pas de quoi en faire un mélo
Héritage névrotique, bientôt au bout du rouleau
Scientifique ou dactylo, cheveux blonds cheveux roux, atypique ou mégalo, raison garder ou virer fou
On verra
Ils te racontent que pour eux tout est foutu
Tout est déjà passé
Alors que toi, tu n’as encore rien vu
T’es de l’autre côté du fossé
Il parait même que t’es l’espoir
Et t’as envie d’y croire
Alors pour ne pas les décevoir
Tu commences ta propre histoire
130 à l’heure
Par beau temps
Par temps de pluie
Fin d’exams, c’est samedi soir, ta famille, tes potes, ta meuf
T’as pas assez de temps pour tous les voir, juste assez pour faire la teuf
Défoncé, déchiré, tout est prétexte pour oublier
Le passé, no futur, être présent, c’est déjà assez
Ça dévie, ça défile, tous tes moments à l’arraché
T’as compris, ta vie file, à quelques instants d’te crasher
Il est encore tôt pour y réfléchir sérieusement
Mais autour de toi, des choix, des engagements
Des avenirs se construisent en commun
Et tu te demandes si toi, tu n'as pas pris le mauvais chemin
Alors entre deux soirées, tu commences à faire les comptes, à faire l'bilan
Trop d'années à faire le con, à glander sur l'divan
Aujourd'hui, tu le sais, tu ne vas pas changer le cours du temps
Mais demain qui sait, peut-être la rencontre qui te mettra en mouvement
CHAPITRE II
- Et toi ? Tu en veux ?
Des gamins, j’veux dire, les nôtres, enfin "les", un c'est déjà bien, et pas forcément tout de suite hein, on a le temps, on profite, puis j'crois que moi j'suis pas prêt, à être père, à perdre ce qu'on a là, à plus pouvoir partir sur un coup de tête, puis ça a un coût, puis ça prend du temps, et peut-être qu'on s'aimera plus, qu'on terminera comme eux là, à plus se voir, à plus se parler, et imagine s'il nous aime pas, si c'est la guerre au quotidien, imagine si la société n'change pas et qu'il termine malheureux, enfin j'sais pas, t'en penses quoi toi ?
- Oui, j'en veux deux.
Je te vois
Dans mes espoirs et mes angoisses
Dans le modèle que je veux être pour toi
Je te vois en elle, en eux, en moi
Comme un miroir que tu remplaces
Je te vois
Dans ma douleur et ma joie
Dans les saisons de notre humanité
Je te vois dans nos pleurs et mes choix
Dans chacune de mes raisons d'exister
Coincés dans nos impossibles de grandes personnes
Le mieux que l'on puisse faire, c'est simplement de leur donner de l'élan
Maintenant, c'est à leur tour d'inventer les règles
D'écouter les histoires des grands, de décider de ne pas faire pareil
D'imaginer de nouveaux mondes, de s'improviser roi ou reine
Car dans leurs jeux tout est plausible
Parce que pour eux, tout est possible
On te pose la question à chaque repas, à chaque retrouvaille. T’as beau leur dire que t’es bien toute seule, que t’en veux pas, que tu préfères chiller devant Netflix, avec eux c’est toujours le même disque. Oui, t’es encore jeune mais non, tu n’changeras pas d’avis. Oui, tu n'as pas encore trouvé le bon, mais non, même avec lui, le projet ne sera pas de réarmer démographiquement le pays.
Ta vie, c’est un boulot où tu te sens bien, des sorties entre amis, des nuits sans lendemain, et le week-end, des réveils à midi. Pas de place pour d’autres vies, pas besoin, pas envie. Merci.
Vieillir, au début, c’est apprendre à faire semblant, à imiter
C’est peindre des sourires pour camoufler des vérités
C’est feindre de jouir pour sublimer des vanités
On porte le masque parce qu’ils le portent
L’uniforme sur l’visage, faudrait surtout pas que les couleurs sortent
Mais vieillir, à la fin, c’est aussi apprendre à laisser tomber
Le masque, l’uniforme, à longueur de journée
C’est comprendre enfin, ce jeu qui se joue
C’est se souvenir enfin de ce Je dans le Nous.
CHAPITRE III
Tu comprendras quand tu seras plus grande.
Ou peut-être pas, peut-être qu’on fait tous semblant de comprendre, parce qu’il n’y a pas de certificat pour être adulte, que des constats un peu abrupts, que des combats qui nous acculent.
Regarde, à ton âge on a le sourire facile. Bizarrement, nous les grands, on a surtout le sourire factice. On ne comprend même plus comment ça marche, les plaisirs simples, les petits bonheurs, on en fait même des thérapies pour essayer de la retrouver, notre bonne humeur.
Finalement, l’essentiel dans la vie, on le comprend peut-être mieux quand on est petit.
Je me souviens de nos printemps
Avec toi, à passer le temps
Puis le temps s’est écoulé, l’été est arrivé
Je me demandais, où étais-tu passé ?
Maintenant que l’automne demeure
Que nos heures s’envolent aux courants d’air
Et que nos derniers souvenirs se meurent
Retrouve-moi, avant que l’hiver nous enterre
Quelques années pour comprendre, beaucoup trop pour apprendre,
Des dizaines d’années pour mettre en pratique,
Des dizaines d’autres pour en être critique
Pas assez d’années pour profiter, trop d’années pour leurs profits, hé !
Des années à s’bousiller, s’outiller à s’oublier, ouvriers jusqu’à l’atrophie, hé !
Seulement quelques années pour aimer, largement assez pour se lasser,
Une ou deux pour essayer de faire sourire,
Un peu moins pour laisser un souvenir.
Quand on est petit, on rêve d’aller dans l’espace, puis on grandit, et on essaye principalement de rester à la surface.
On a troqué notre liberté contre un peu d’expérience. On sait où mettre les pieds, mais on ne sait plus s’envoler.
Nos rêves d’adultes se résument à pouvoir payer le loyer, les factures, et la bouffe pour bébé.
Alors on n’essaie plus de viser la Lune, parce qu’il s’agit de rester concentré, et surtout de ne pas tomber.
Parce que sans nos ailes, maintenant, on a bien du mal à se relever.
Derrière nous, le bruit de nos vies,
Nos choix, nos regrets, nos joies, nos secrets,
Nos amours, déceptions, des surprises, déraisons,
Et devant nous, le silence de l’inconnu.
Par toutes ces routes empruntées,
Toutes différentes dans les détails,
Mais toutes similaires dans l’important,
Nous étions arrivés, enfin, au bout du chemin.
Fin.